mardi 18 décembre 2007

J-0 l’opération

Je me suis levée ce matin là. J’ai pris une douche, je me suis longuement regardée dans le miroir de la salle de bain. J’ai touché ce sein que l’on va m’ôter pour toujours, ce physique qui va disparaître. Je n’ai pas pleuré, les émotions se sont enfuies ce jour là et à ce jour elles ne sont pas revenues. Je me concentre sur l’essentiel. Je veux vivre. La question la plus angoissante c’est de savoir si les ganglions sont atteints, s’il y a un risque que le cancer se soit propagé ailleurs. Si les ganglions sentinelles semblent atteints alors on me fera un curetage ganglionnaire, avec tous les risques de handicap que cela comporte et surtout s’ouvrira la question de l’atteinte des autres organes. J’ai très peur de cela. Jusqu’à présent les mauvaises nouvelles sont allées crescendo jusqu’où cela va t-il s’arrêter ? Je sais de quoi j’ai peur, ce n’est pas de souffrir, ce n’est pas de perdre un sein, c’est de mourir, de laisser mes enfants petits sans maman, cette pensée me terrifie. Je l’ai dit au chirurgien je le lui ai même écrit, ce que je veux, c’est vivre, c’est voir grandir mes enfants…
Je voudrais voir le chirurgien avant… C’est important pour moi, je veux lui demander s’il va regarder l’autre côté, et humainement j’ai besoin de le voir tout simplement, je ne suis pas un jambon… Il me faudra le réclamer sans cesse, finalement je ne le verrai que sur la table d’opération où j’arriverai réveillée, car devant mon insistance pour parler au chirurgien avant (et en pleine possession de ma tête) les infirmier(es) vont accepter de ne pas me sédater avant…
On me descends sur mon lit… Je quitte l’atmosphère chaleureuse de l’hospitalisation en chirurgie pour passer dans le monde froid des salles d’opération. Je pèse mes mots, il y fait effectivement très froid. L’infirmière puis le brancardier ont veillé à ce que je sois bien couverte ça va donc.
Sur le pied du lit il y a une étiquette… maudite étiquette ! Je ne sais pas exactement ce qui est marqué dessus, sans doute mon identité et les informations sur l’opération que je vais subir, mais cette maudite étiquette…
Le brancardier me place dans un couloir et disparaît. Des gens masqués passent de temps en temps. J’ai très peur. Je suis là, dans ce couloir, je me sens terriblement seule et angoissée. Pendant un long moment ces gens masqués vont passer dans ce couloir et je vous jure ils n’ont regardé QUE l’étiquette. Un exploit… arriver, regarder l’étiquette, pouvoir se glisser en évitant soigneusement le moindre regard.
Je ressent un mélange de peur, d’angoisse de fureur… je vois venir le moment où je vais aller arracher cette maudite étiquette pour qu’on me regarde enfin !
Un enfant pleure, il se réveille de l’anesthésie, il crie « mamannnnn, mamannnnn » j’entends un rire de femme. Je pense : mais qu’ils lui amènent sa mère bon sang ! Je me connais et je sais que c’est la pire chose pour moi, ce que mes nerfs ne supportent pas, les pleurs d’enfant. Moi je suis là dans ce couloir, je ne suis plus qu’une étiquette. Ouf, sa maman arrive, il arrête de pleurer. J’ai les nerfs à vif et ces gens qui passent et ne regardent que l’étiquette, je sens mon cœur battre à toute allure.

Enfin une femme vient me parler, je ressens un immense soulagement. Elle me demande si j’ai froid. Je souris, oui j’ai un peu froid, elle remonte mes draps, un miracle.
Deux brancardiers arrivent, ils doivent me mettre sur une table d’opération. Ils sont étranges, ils ne m’ont jamais adressé la parole, ils ne m’ont jamais regardée dans les yeux, ils se parlent entre eux, ils me désignent en disant « elle », c’est atroce. Ils vont me faire passer sur une table d’opération, je bascule un peu en arrière, j’apprendrais plus tard qu’ils m’ont mise à l’envers, il me faudra me retourner. Ils m’attachent sur cette table et disparaissent.
Arrive du monde, infirmière, externe, assistant de l’anesthésiste, ils sont tous gentils, j’avais désespérément besoin que des gens me parlent et me regardent.
Un externe souriant veut me poser une perfusion mais il ne trouve pas de veine, il appelles une infirmière plus âgée et expérimentée. Je lui demande de ne pas me piquer dans le poignet, je sais que après l’opération je ne pourrais me servir que de ma main droite, alors si elle est bloquée par une perfusion dans une articulation…
Elle est très autoritaire et brutale, elle ne m’écoute pas « je pique où il y a une veine ! » dit elle sans regarder ailleurs, elle enfonce brutalement son aiguille exactement dans le plis du poignet. Elle me fait extrêmement mal. Ca ne passe pas. Elle insiste, pousse plus fort, je hurle. Elle s’en va en me laissant avec cette perfusion très douloureuse.
La salle d’opération n’est pas libre, il faut changer d’endroit, on me transvase.
Dans la nouvelle salle il y a un infirmier qui vient me parler gentiment. Je regardes les prénoms, malheureusement tous ces prénoms se sont envolés de ma mémoire ensuite. L’homme à un prénom et un accent espagnol, je lui parle en espagnol, on discute, il est sympa, il m’explique qu’ils sont tout un groupe d’espagnols, petite conversation banale qui fait un bien fou, merci à lui. Arrive une infirmière avec l’anesthésiste. Ils me saluent. A peine l’infirmière à t-elle commencé à toucher la perfusion que je hurle, ça fait très très mal. Elle voit que la perfusion est bouchée et mal placée. Les larmes coulent sur mes joues, de douleur. Elle me la déplace la avec beaucoup de douceur et m’injecte sur le dos de la main. Ouf, la douleur s’estompe je reprends mon souffle. Je la remercie chaleureusement à plusieurs reprises.
Le chirurgien arrive. Enfin ! Il m’explique qu’il ne fera pas la biopsie à droite, selon lui, il n’y a rien. Il me parle gentiment, il essaye de se montrer le plus rassurant du monde, didactique, droit. Il m’inspire toujours autant confiance mais j’éprouve une grosse déception. Depuis des lustres j’ai l’impression d’avoir du insister pour être soignée, moi je pense qu’il faudra la faire cette biopsie, puisque la radiologue le demande. Elle me l’a dit. A chaque biopsie j’ai eu très mal et c’est un parcours du combattant pour avoir les ordonnances, puis les rdv, y aller, attendre les résultats. Je devrais recommencer le même parcours du combattant devant les médecins dans le déni, avoir mal encore et aller jusqu’à arriver à l’ablation du sein entier, comme à gauche. C’est à tout cela que je pense à ce moment là.
Je ne dis plus rien, j’ai une énorme boule dans la gorge. L’anesthésiste se penche sur moi. Il voit que je suis très tendue. L’infirmière lui explique qu’on m’a mise à l’envers sur le lit, puis déplacée, posé une perfusion douloureuse… il a entendu aussi la conversation avec le chirurgien, enfin je pense je ne suis pas sure. Il sait que je suis chercheuse et me demandes de parler de mes recherches. Je comprends qu’il veut détourner mon attention pendant que l’infirmière commence à passer des produits dans la perfusion. Je m’y prête docilement. Quand le sommeil arrive je lui demande si je peux plutôt penser à mes enfants. Il me demande leur âge, je m’endors sur leur image.

Je me réveille brusquement. Je suis dans une salle entourée de plein de personnes, j’entends leurs voix mais ne distingue pas les visages. Je demandes, « ça y est ? », on me réponds que c’est fini. Je demandes « et les ganglions ? » on me réponds que les ganglions sentinelles semblaient sains, qu’on ne m’a pas fait de curetage. Je pense que j’ai répondu un truc du genre « mon dieu merci » et me suis rendormie, ou peut être que non, que je l’ai juste pensé.

Mais c’est vrai, les ganglions semblaient sains, on ne m’a pas fait de curetage ganglionnaire. Bien sûr il faut attendre le verdict de l’anapath pour en être sur mais c’est très encouragent, c’est l’arrêt de la série noire. L’anapath devrait mettre quelques semaines à répondre…

6 commentaires:

  1. Ouf Tili, je suis super heureuse ! Effectivement, dans cette suite sans fin de mauvaises nouvelles, il t'en fallait une bonne pour recouvrer de l'énergie.

    A bas les infirmières, anesthétistes et cie qui ne se soucient que de l'aspect technique des choses et ne cherchent pas le bien-être des patients. Les perfs mal posées sont extrêmement douloureuses, tant mieux si qqn de plus humain a pu déplacer la tienne.

    Je souhaite maintenant que, revenue à la maison, tu te laisses choyer un peu, que des gens secourables vont vous aider avec les enfants, le ménage etc.

    Grosses bises, courage, bonne semaine !!!

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  2. je suis contente pour toi, pour la bonne nouvelle.

    par contre pour l'opération je crois que c'est toujours la même chose, nous ne sommes que des corps inertes pour les chirurgiens. c'est sans doute mieux pour eux, surtout quand ils opèrent des enfants gravement malades, mais c'est vrai que c'est très dur à endurer en tant que patient.

    Quant à devoir se battre contre les médecins pour obtenir les examens c'est sûr que c'est un vrai parcours du combattant et c'est bien dommage, surtout à une époque où on parle tant de prévention...

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  3. ton récit est très émouvant.
    dans l'idéal il faudrait qu'il y ait une personne chargée de t'accompagner de bout en bout, pour ne pas avoir cette impression que chacun se refile un paquet après avoir accompli sa mission .

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  4. d'accord avec tirui.
    et des bisous de prompt rétablissement!

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  5. Je t'ai "rencontré" sur ton blog autour du monde et je n'avais pas encore pris le temps de lire ce que tu as vécu les années précédentes.
    J'en ai les larmes aux yeux, bien sur...

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