mercredi 20 octobre 2010

La chaine Rose, encore

Je me suis levée un fade matin d’automne dans cette chambre d’hôpital, presque étonnée d’avoir dormi un peu. J’ai pris une douche et je me suis longuement regardée dans le miroir. J’ai touché ce sein que l’on va m’ôter, ce physique de jeune femme qui va disparaître. Je l’ai caressé tendrement, imaginant le scalpel du chirurgien.
Je n’ai pas pleuré... Je n’ai plus d’émotions, elles se sont enfuies ce jour là, se terrent pour les batailles à venir.
Je regarde l’essentiel. Je veux VIVRE, je veux rester auprès de mes trois enfants. Ils sont si jeunes, je n’ai pas le droit de mourir, de les laisser orphelins.
Je saurai bientôt si les ganglions sont atteints, si l’énorme tumeur s’est propagée ailleurs...

Je quitte l’atmosphère chaleureuse de l’hospitalisation pour passer dans le monde froid des salles d’opération. Sur le pied du lit il y a une étiquette… Des gens masqués passent et ne regardent que ça, comme on regarde le nom accroché au pied des cadavres. J’ai peur, je me sens terriblement seule. Un enfant pleure, il s’éveille de son anesthésie il appelle sa Maman. Une femme rit.

Je sens une étrange fureur monter en moi. Pourquoi un cancer ? Pourquoi si jeune alors que j’allaitais mon fils ? Pourquoi le nombre de cancers augmente ? Et ces enfants malades, comment la société peut elle accepter la dégradation de sa santé ? Qu’est ce qui nous empoisonne ?...

On m’endort, on me réveille, je suis projetée bien malgré moi dans cette nouvelle vie de cancéreuse...

Plus tard en Hiver...
Cela fait 2 heures que je suis là, dans cette salle d’attente. J’ai l’habitude. Il y a eu les nombreux examens du bilan d’extension et une nouvelle opération, des ganglions, qui m’a laissée handicapée du bras. Toujours attendre, toujours patienter.
Attendre est le traître mot ici.
J’ai sorti mon bloc de papier et un stylo, depuis que je suis là, je rédige d’étranges chroniques, les “chroniques de salles d’attentes”. C’est une mise à distance, un remède magique, avec cela, je ne suis plus une cancéreuse mais une ethnologue, je suis plongée dans une population tribale qui m’enseigne ses étranges us et coutumes dont j’essaye de comprendre les mécanismes fondamentaux.

Une jeune infirmière surgit régulièrement du cabinet, pour lancer un nom de patient d’une voix forte. Elle va bientôt m'appeler et me désigner la porte du SAS, me demander de me déshabiller avant de rentrer.
Elle, elle va entrer par la porte du personnel soignant...
Derrière le SAS, il y a 3 personnes, parfois plus. Il y a dans cette manière de faire, un relent putride de travail à la chaîne, d’abattage des corps malades...

C’est le printemps... Je n’ai plus de cheveux ni de sourcils, je sors d’une semaine en chambre stérile après une aplasie dès le début de la chimiothérapie. Mon grand père vient de mourir ainsi que ma vieille voisine. Je suis allée aux enterrements, affrontant l’angoisse de ma famille. La roue de la vie a tournée, elle est exactement au dessus de moi m’écrasant de sa masse immense.

Mes filles ont compris deux choses essentielles et redoutables : que leur maman peut mourir… que elles même sont mortelles.
“Elles vont bien, gèrent bien, le principal c’est qu’elles puissent en parler” à dit la psychologue de l’hôpital. Et à ces mots j’ai compris d’un coup… Elles ont 6 ans et elles sont assez grandes pour tout comprendre et elles sont assez fortes pour l’admettre. Mes enfants arrivent à jouer et c’est moi qui pleure.

Mes “ chroniques” ne sont là que pour me protéger contre l’angoisse, J’ai écrit sur le carrefour de mes vanités pour avouer ma forfaiture. Pourtant, je continue d’écrire et  étrangement, des centaines de personnes viennent me lire chaque semaine, comme si cela apaisait leurs propres angoisses....

L’été est arrivé, j’en suis à ma dernière chimiothérapie, on parle de risques et de tests génétiques. Je supplie pour que l'on m’enlève préventivement l’autre sein. On refuse de principe, on me raconte des horreurs de femmes abandonnées par leur compagnon, l’image du corps insupportable. Mon homme se tient debout à mes côtés, il affronte toutes les tempêtes, il ne faiblira jamais.

Moi, je suis à bout de souffle, mon corps n’est plus que douleurs, je ne dors plus, je n’arrive plus à m’occuper de mes petits. J'ai eu ce courage ignoble de demander à nos familles et à nos amis d'entourer mes enfants, de leur offrir de l'amour, d'élargir leur cercle pour le cas où je ne survive pas.  Ils ont eu la force d'accepter et de comprendre. Les grands mères sont venues nous aider, à tour de rôle, elles vivent avec nous. Tous se sont enfin resserrés autour de nous, autour des enfants...

C’est la fin de l’été, je suis à la plage avec mes enfants, chemise boutonnée jusqu’au col et grand chapeau car je protège ma peau brûlée par la radiothérapie. La machine est encore en panne, ces soins sont interminables...

L’automne est là, les traitements lourds sont finis, je ne prends plus qu’une hormonothérapie et prête mon corps à la recherche. Nous avons enfin entendu le mot merveilleux “rémission” et fêté cette victoire. Je reprends goûts à la vie mais j’ai changé, perdu mon immortalité et gagné une incroyable confiance. Je n’ai plus de travail aussi j’ai décidé de me mettre à mon compte...

C’est l’hiver. J’ai vu un chirurgien, il a accepté ma demande, il me fera enfin l'ablation bilatérale et une reconstruction mammaire simultanée...

Déjà le printemps... L’opération s’est mal passée, entre hémorragies et tentatives de reprise du greffon, j’ai été l’otage du bloc opératoire et de la réanimation. Seul un sein à pu être reconstruit, l’autre greffe décline, ils vont me ré-opérer pour l’enlever. Je craque, pour la première fois, je pleure sur moi même...

Enfin l’été, je reprends vie tout doucement. Mon mari doit aller travailler à l’étranger, j’ose un rêve insensé, que nous partions tous ensemble, que nous fassions le Tour du Monde...

Dès l’automne, nous faisons nos bagages.
C’est fabuleux, nous vivons un rêve. Le monde est si beau, c’est une incroyable revanche sur la maladie, la renaissance d’une famille heureuse....

Automne l’année suivante.
Le tour du monde est fini, nous avons déménagé dans une autre région.
J’ai un sentiment étrange, une angoisse terrible, le vertige du vide devant tout ce qu’il va falloir reconstruire, je ne sais plus qui je suis mais je sais ce que je veux pour les générations futures !

Malades et Sociétés, regardez autour de vous, regardez en vous, le taux de cancers augmente, Pourquoi?
Ne l'admettons pas, je vous en supplie.
Posons nous les bonnes questions et battons nous ensemble pour que cela cesse !

16 commentaires:

  1. Poste ce texte!!! Il est bouleversant et criant de vérité!!!

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  2. Moi je ne suis arrivée dans cette histoire qu'au départ du tour du monde... Au détour d'une conversation et un peu par hasard. Surtout parcequ'au Canada il y a une petite fille qui faisait un peu de résistance à l'instruction ;-). En lisant ce texte (très sincère et combattif), je me dis ouf... Tili, je ne l'ai pas rencontrée trop tard, et j'en suis très heureuse pour toi, ta famille et tes amis.

    Oui, il est très bien ce texte.

    Bises.

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  3. Texte très fort. Puisque tu nous demandes : je ne sais pas si "traître mot" est volontaire ou si tu ne voulais pas plutôt écrire "maître mot" ?

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  4. Ton texte est criant de vérité et doit être lu. Maintenant, je n'ai pas trop de détails, c'est le mot" concours" qui me gêne, j'aurais préféré participation. Car, selon moi, TOUS les textes écrits par des femmes atteintes comme nous l'avons été, tous ces textes seront magnifiques, parce que vrais, tout simplement.
    Bisous à toi
    Mony

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  5. J'aime beaucoup ... les vagues des humeurs, les creux et les bosses du moral... c'est tout nous;-)
    Après un si chouette voyage, un déménagement, pas étonnant que tt ne soit pas au top ... mais cela ne console guère!
    Laisse-toi du temps et chouchoute-toi, les anti-hormones font peut-être aussi des ravages sur ton moral, même s'ils aident par ailleurs.
    Bises suisses
    Isachocosuisse/Isasuisse

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  6. Merci à toutes.
    Mony, c'est vrai que leur mot "concours" est bizarre, mais en fait, il n'y à rien à gagner personnellement, juste la "cause" et faire verser des sous à une association ;-)

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  7. Oui, j'avais bien compris. En cela, j'espère que les participations seront nombreuses, j'ai envoyé la mienne ce jour, merci à toi de nous avoir donné ce lien.

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  8. Je ne me suis pas encore décidée ...

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  9. Tilie il faut que tu envoies ce texte, c'est ton histoire brute et belle.

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  10. C'est un tres beau texte Tili.
    Oui, tu peux l'envoyer sans aucun doute.

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  11. Magnifique.
    mais je comprends les réticences du post suivant concernant l'anonymat non respecté. Fière d'être parmi les privilégiées qui te lisent.
    Bisous

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  12. D'écrire un tel parcours permet de mieux mesurer le chemin parcouru et de savourer l'instant présent.
    Il ne te reste plus qu'à te lancer dans tes nouveaux projets

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  13. Je suis très touchée par ton article. Je suis en bonne santé "pour le moment" et susceptible de le rester ou non... Et tu as raison "posons-nous les bonnes questions"...
    Merci pour ce beau témoignage Tili

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  14. Ton texte est immensément touchant.
    Du pur Sandra quoi ! Bisous.

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