jeudi 24 janvier 2008

CHRONIQUES de SALLES D'ATTENTE N.O ET N.1

Je vous avais prévenus, on va plonger dans le gore total, voici les CHRONIQUES DE SALLES D’ATTENTE !!!

Chroniques de salles d’attente numéro zéro: L’annonce... (en octobre)

La première fois je suis arrivée un peu gênée devant tous ces gens, surtout des femmes en les regardant avec de la peine. Un peu de pitié peut être aussi. Après tout elles, ces pauvres femmes sont des cancéreuses alors que moi je viens pour un petit nodule de rien du tout, à peine cancéreux et dans ce cas la plupart du temps on enlève ces petits trucs et c’est tout même pas de gros mots comme chimio, non moi c’est rien je vous dis.

Quand même j’ai la trouille, c’est comme ça on a beau dire hein, les propos rassurants ça marche pas si bien que ça.

Alors avec mon chum on s’est installés dans la salle et on a attendu... longtemps, on a bouquiné. Je n’ai pas trop regardé autour de moi, j’ai peu de souvenirs de cette première attente en fait, je n’appartenais pas à ce monde, pourquoi l’explorer ?

Puis le chirurgien a dit que par précaution il fallait enlever tout le sein, c’était dur à entendre mais rassurant quand même. Il pensait que les ganglions n’avaient probablement rien et qu’il n’y aurait peut être pas de chimio.

La première attente était sans intérêt dans tous les sens, les chroniques ont commencé APRES...


Chroniques de salles d’attente numéro 1: La catastrophe (début janvier)

C’est la même salle d’attente mais tout à changé. On m’a opérée, je n’ai plus qu’un sein... J’ai RDV avec le chirurgien pour les résultats, pour savoir ce que l’anapath a donné.

Ca fait une heure qu’on est là...
Je sors un carnet de notes...
Mais oui, c’est à ce moment précis, une heure après mon arrivée pour la seconde fois dans cet univers que les Chroniques de Salles d’attente ont débuté... Je ne sais pas, une prémonition. Ou bien un cauchemar ? Enfin un truc s’est passé, j’ai sorti un carnet, un stylo et j’ai regardé autour de moi.

Et là, (ça fait un peu autiste hein), la première chose que j’ai écrite c’est ça...

“Salle bleu marbrée... portes bleues foncées et jaunes... quelques carreaux
jaunes sur le sol de temps en temps... l’infirmière a des santiags”.

Là je me suis arrêtée un peu abrutie de ce que je venais de faire... Je me suis demandé si je n’étais pas folle... Bon on sait tous que je le suis mais là je me le suis demandé, nuances. J’ai jeté un petit coup d’oeil de côté à mon chum pour vérifier qu’il ne soit pas en train de voir ce que je faisais... Ouf il était en train de travailler... Prévoyant il avait emporté de quoi tracer quelques formules, la routine.
Alors je reprends mon souffle et je continue d’écrire...

“l’infirmière qui passe est habillée de blanc, mais court alors que c’est l’hiver, elle n’a pas ne blouse mais un haut et un pantalon blanc”

Mon stylo marche mal, j’en prends un autre. Je relis, je me dis “c’est pas vrai qu’est ce que je fais je suis dingue de dingue”.
Mais bon, ça m’occupe alors je reprends le stylo.

“Elle n’a pas froid ?”

Je suis là avec mon stylo à la main à écrire des descriptions creuses et je commence à rêver. Oh oui, c’est comme dans mes études, je vais étudier les autres (du genre comme cela moi je passe de l’autre côté de la barrière, le bon côté, le côté normal quoi). Mais bon, il me faut un cadre scientifique réfléchissons...

Et puis là, ça bascule l’infirmière que je scrutais intensément tout en réfléchissant mon stylo à la main observe mon manège, elle me demande ce que je fais... Je rigole (très lâche) je lui explique que je vais faire un rapport ensuite... Mais là elle rigole d’un rire un peu nerveux et se met à actionner fébrilement le déclic de son styo, clic, clic, clic, clic... Elle me dit en riant “attention, si c’est moi qui fais les soins je prendrai la plus grosse aiguille”.

Là tout de suite je me sens rassurée, je me dis, elle doit se rendre compte de l’énormité qu’elle vient de sortir et la pauvre elle doit brusquement se sentir très conne... je sors mon sourire navré mais au fond je suis super contente de ne pas être la seule à me sentir stupide...

Mon mari, qui était sorti de ses calculs, m’avait vu noter et a entendu le début de conversation intervient aussitôt de sa voix la plus conciliante possible pour lui dire “elle écrit aussi des choses gentilles vous savez”.
Je souris intérieurement, mon chum s’inquiète pour de vrai le pauvre.
“Mais ouiiii” ajoutais je un sourire sardonique aux lèvres.

Elle fait tomber son stylo au sol et me dit
“a cassé son stylo, vous pouvez l’écrire !”

-”c’est noté” je réponds avec un sourire gentil.

Je suis gênée en fait, je me demande pourquoi mes notes l’ont mise aussi mal à l’aise, je regarde autour de moi, mis à part mon mari qui faisait ses calculs, personne n’a de calepin. Tous les gens présents sont plongés dans des revues ou bien murmurent entre eux. Non, personne n’écrit, ça ne doit pas être courant alors.

Je reprends le cours de mes pensées... Bon alors si c’est une observation participante et que j'interagis avec les sujets (de l’expérience) alors il faut se considérer plutôt en situation d’ethnologie. Oui c’est cela, je suis une ethnologue, je suis plongée dans une population tribale qui m’intègre et m’enseigne ses us et coutumes et en fait j’observe leur société pour en comprendre les mécanismes fondamentaux. C’est bon ça hein.

L’infirmière continue son manège, à chaque fois qu’elle passe à côté de moi à présent j’ai droit à un petit sourire.

Je continue d’écrire:
“En fait elle surgit régulièrement de la salle devant laquelle j’attends pour appeler les patients d’une voix forte.

C’est une jeune femme plutôt souriante avec une bonne stature..."

Il y a une chose que je déteste ou plutôt que j’ai détesté la première fois que je suis venue et je réalise que je l'appréhende... A l’intérieur de la salle je sais qu’ils sont trois, le chirurgien, une secrétaire et une infirmière. Trois !!! Plus mon mari et moi donc... Déjà, c’est dur d’avoir une relation patient-médecin à l’hôpital qui chez moi réclame un minimum d’intimité, oui je sais, je ne suis pas simple mais quand même...

Je suis devant cette salle, il y a 2 portes... Oui 2 portes pour la même salle, une pour le personnel soignant et une pour les cancéreux. On ne mélange pas hein.

C’est horrible, je fais une fixette abominable sur ces deux portes, je suis là, je sais parfaitement que c’est le stress qui me fait écrire ces conneries mais je ne peux pas m’empêcher d’y penser: Ils sont 3 là dedans et moi, comme tous les autres cancéreux, je vais devoir passer par un SAS à l’entrée où la dernière fois on m’a demandé de me déshabiller AVANT de voir le médecin !

Donc vous devriez entrer le buste nu... Imaginez la gène ! Et pour moi cela annihilerait toute possibilité de relation de confiance.

Je continue de penser, ma terreur d’entrer là dedans se transforme en une sorte de colère contre ce système qui me heurte.

Oui, c’est cela, je me dis, c’est une façon de me faire comprendre qu’ici je ne suis qu’un corps malade à examiner.

La dernière fois quand je suis venue et que l’infirmière m’a dit “déshabillez vous” j’ai refusé... J‘ai dit que non j’ai expliqué que c'était car je ne connaissais pas encore le médecin et que cela me semblait complètement déplacé.

Ce n’est pas la même infirmière que la dernière fois, je remarque que celle-ci ne dit pas “déshabillez vous” aux patients mais plus pudiquement “préparez vous”.

Ca me va mieux ça, d’ailleurs me préparer je ne fais que cela, oh je ne suis on ne peut plus prête pensais je.

Mais qu’est ce que j’ai avec cette fixation sur cette antichambre ? Maintenant j’angoisse de ce qu’on pourrait me dire, je me dis.

“Oh j’espère qu’on ne va pas me questionner sur mon refus de déshabillage préalable, je ne voudrais pas avoir à parler de cela, il serait plus important de parler de ma maladie, et puis que pouraient-ils me dire, me sortir la réponse idiote que cela ne gène pas le chirurgien et les personnes présentes ? Qu’ils en ont vu d’autres ? Ben oui c’est crétin car je ne doute absolument pas de leurs compétences en voyeurisme j’ai les mêmes d’ailleurs, par contre mes compétences en exhibitionnisme, hum, ce n’est pas tout à fait pareil”...

Je regarde ma montre, ça fait 1h30 qu’on est là. Je n’en peux plus d’angoisse à présent, j’en ai des nausées. Je regarde les femmes qui sortent, leur souris... Je me demande quand la porte numéro 5 va s’ouvrir pour moi.

Tiens c’est étonnant je remarque seulement maintenant que toutes les salles portent des lettres mais sur les portes des médecins et de la salle de soin il y a des numéros, ça fait double emploi.

Oh non ce n’est pas vrai voilà que je me remets à regarder ces petits détails à la con je me dis que mon cerveau tourne comme un moteur emballé et se nourrit de stupidités.

Mon chum m’a piqué le bouquin que l’on vient de m’offrir “la rêveuse d’ostende”.

Quand je pense que depuis une heure je me retiens d’aller aux toilettes pour que l’on ne m’appelle pas pile au moment où j’y serais, arrrg, pipiiiiii !

Je pense à ce que j’ai apporté, deux boîtes de chocolats, une pour la salle d’hospitalisation où j’étais et où ils ont été si gentils et l’autre pour la chirurgie. Je me dis que quand même le minimum du minimum c’est avant tout de dire merci, il ne faudra surtout pas que je l’oublie quand je serais là bas, de l’autre côté de la porte... Je prends ma liste de questions (oui j’ai apporté une liste de questions et je rajoute “dire merci”).

Pipiiiii c’est insupportable, ça fait combien de temps, 2 heures ? Je demande à l’infirmière si j’ai le temps d’aller aux toilettes, mais oui me dit elle gentiment, le chirurgien prend une femme toutes les 5 minutes environ.

Je cours aux toilettes.... Ahhhhh, puis je réalise... CINQ minutes ? Cinq minutes pour ma vie qui bascule ? 5 minutes pour me dire quoi ? Et mon énorme liste de questions que j’ai préparée, cinq minutes ?????

Je reviens, évidemment ils m’attendaient, c’était mon tour ! La loi de l’emmerdement maximum...

Nous entrons mon chum et moi dans la minuscule antichampbre qui crachote un jazz épouvantable. C’est une toute petite cage pour nous deux. Et là, après tout mon délire de tout à l’heure, j’enlève mon haut et je remets ma veste sans rien dessous pour que ce soit rapide à enlever... Car 5 minutes hein... et puis j’ai pensé aux femmes qui attendent derrière moi, j’ai pitié des suivantes.

Je ne vais pas trop vous raconter ce que m’a dit le chirurgien, j’en ai déjà parlé et puis c’est inracontable, le monde s’écroule, j’entends des choses effroyables. Mais je reste stoïque et sors ma liste de questions et la pose consciencieusement. C’est le même calepin que celui où je prenais des notes et je vois au regard de l’infirmière qu’elle croit à présent que c’est ça que je faisais tout à l’heure, écrire mes questions et qu’elle se sent piteuse, a moins que ce ne soit qu’elle ait pitié de moi, oui, ce regard posé sur moi c’est de la pitié c’est sûr.
Je demande au chirurgien QUI sera mon médecin référent, celui qui prendra le temps de tout m’expliquer, il me dit qu’ils sont 3, qu’il n’y en n’a pas un particulier, qu’ils travaillent en équipe. J’insiste, je dis que j’ai besoin d’avoir un interlocuteur précis qui ait le temps de me parler, mais il reste poliment sur sa position.

Ce chirurgien, il est toujours pressé, il me dit des choses atroces, et parfois il est en désaccord avec ses collègues, mais je réaliserai par la suite que je l’aime bien quand même, je lui fais confiance, c’est comme cela, le courant passe, je le sens bien.

Dès ma sortie, l’infirmière me prend à part dans la salle de soins pour essayer manifestement de tempérer et expliciter les propos du chirurgien, elle me dit notamment qu’elle pense que l’oncologue sera plus “référente” et aura plus de temps à me consacrer. Cela se révélera vrai d’ailleurs. Je vois à quel point cette jeune femme essaye d’être gentille et de me rassurer, néanmoins je rentre chez moi totalement terrorisée...

10 commentaires:

  1. J'ai beaucoup écrit aussi lors des hospitalisations de mon fils, mais aurais-je eu ta force pour le faire si moi j'étais atteinte ? Je trouve cela incroyablement vrai, si proche de ce que l'on vit à ce moment là, tant de choses que l'on ressent mais que tu mets parfaitement à jour par tes mots.... merci

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  2. je trouve ça super ce que tu fais, j'espère que des femmes qui vivent ce que tu vis passeront te lire et que ça les rassurera...

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  3. Les rassurer ? T'es sure ?
    Non ma'cha si des personnes concernées passent par là je leur conseille de s'enfuir en courant plutôt...

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  4. Moi, cela me fait penser à ce qu'a vécu ma petite sœur et c'est bien ce que je craignais à l'époque : j'étais présente mais je ne pouvais quasiment rien contre sa peur, sa terreur. Merci de mettre des mots sur tous ces maux. Tu es géniale !

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  5. Pas trop envie de commenter, je lirai la suite silencieusement.

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  6. J'ai passé un examen y'a quelques semaines dans un hôpital pour un truc assez bénin, et j'ai trouvé l'ambiance des salles d'attente vraiment très pesante, donc quand on a une maladie grave ça doit vraiment être éprouvant. A ce moment là, j'ai envisagé moi aussi d'écrire pour tromper mon angoisse, mais je n'ai pas réussi.

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  7. L'attente interminable , rapidement pipi room juste au moment ou l'on vous appelle et cinq minutes avec le ponte celui qui sait , la réalité du milieu hospitalier à la seconde près, c'est bien décrit et tellement réel jusqu'au chocolat pour remercier . Juste bravo .

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  8. Que dire... Je l'ai vecu avec ma mere, puis avec ma soeur...
    Mon autre petite soeur est terrorisee et est venu, il y a un mois et quelques en toute hate me rejoindre sur mon ile, pour une mammographie. Dans son pays, on refusait de la lui faire.
    Malgre mes nausees et douleurs de femme enceinte, je l'ai conduite et epaulee du mieux que j'ai pu.
    C'est aussi ce que j'ai essaye de faire avec mon autre soeur, mais je ne suis pas sure d'avoir pu la rassurer. Au moins je me suis sentie utile pour mes neveux qui ont adore ma presence et qui m'ont fait des tas de calins.
    Bref, tout cela pour dire que l'on ne peut rien contre la peur et la douleur de l'autre, mais que par de petits gestes, on peut essayer d'adoucir et rendre meilleur son environnement.
    Accroches-toi bien.

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  9. non non les rassurer, je suis sûre. tu n'imagines pas le poids que ça enlève de savoir que quelqu'un est passé par là, par les mêmes interrogations, les mêmes sentiments et le fait que tu poses des mots sur ton vécu aide les autres à les appréhender, je t'assure.

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  10. Merci d'avoir ouvert ton espace commentaire, j'avais mis de côté celui que je voulais te faire l'autre jour, le voilà:

    Bonjour Tili,
    j'ai découvert ton blog en passant chez Pascal, un clic et hop... j'entre dans ton univers d'écriture: je suis remontée un peu dans le temps en suivant le fil de tes billets.

    Et je suis bouleversée de te lire, tes mots sont justes, beaux et tristes aussi.

    L'histoire, celle qui raconte la maladie; je la connais, mais la lire chez une autre, c'est une émotion indicible.

    Je continuerai de te lire, ton témoignage est très précieux: continue!

    stella ^ ^

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