mardi 21 août 2007

Du bonheur en cachets, du bonheur en paroles et après ?

Encore une de mes questions métaphysiques tordues vous allez dire…
Mais quand même, il y a un truc qui m’interpelles dans notre belle société, c’est cette incroyable quête du bonheur.
Quand je bossais à l’hôpital je demandais toujours la liste des traitements pour les bilans neuropsy, il y en a un grand nombre qui empêchent de « penser » correctement malheureusement. J’ai toujours été hallucinée par les incroyables listes de traitements que certains doivent prendre. Mais pourquoi tous ces antidépresseurs, anxiolytiques, somnifères, etc… ? Ils sont rares les petits vieux qui n’ont pas leur stilnox ou leur prozac… Et que répondre à une personne qui prends 3 traitements du genre et se plaint de ralentissement et de troubles de la mémoire ?
Des fois je me demandes que faire face à cela.

Prenons un cas que j’ai eu quelques fois à traiter, la vieille dame, seule, très déprimée, diabétique avec des difficultés à se déplacer… Elle arrive à l’hôpital pour son diabète et devant sa désorientation temporo-spatiale et ses troubles mnésiques elle est envoyée en bilan neuropsy.
Traitements ? Longue liste avec entre autre l’antidépresseur et le somnifère prescrits par le généraliste.
Est elle déprimée ? Oui, sans aucun doute.
Essayons de voir le point de vue du généraliste. Elle est seule et déprimée, les risques de suicide sont importants, elle refuse d’aller dans une maison de retraite, son souhait est de rester chez elle, elle ne va pas dans des clubs de 3eme âge, n’a plus d’amis… J’imagine qu’il ne voit pas d’autre moyens de l’aider que cette prescription.
Essayons de voir le point de vue de la dame. Elle n’a pas d’énergie pour entamer des activités associatives, elle se sent terriblement seule, ses compagnons sont la dame qui vient 2 fois par semaine faire le ménage, son chat et sa télé, elle consulte souvent les médecins qui sont gentils avec elle et prends scrupuleusement tous les médicaments qui lui sont prescrits.
De mon point de vue… la question qui m’est posée est celle d’un début de maladie neuro-dégénérative. Bilan neuropsy fait et on arrive sur les inévitables troubles discrets genre troubles de la mémoire antérograde, ralentissement psychomoteur, légère désorientation spatio-temporelle… Conclusion on ne peux rien dire sur un seul bilan et il faudra la revoir pour savoir s’il y a une discrète évolution ou non, en espérant que le traitement de son humeur ne soit pas alourdis d’ici là.
Que puis je faire d’autre pour elle ?
J’en discutais récemment avec une collègue qui me demandais pourquoi je ne conseillais pas dans ce cas une psychothérapie à la place des médoc…
- Une psychothérapie pour quoi faire ? - Pour la sortir de son isolement - me dit elle.
Je reste perplexe.
Oui oui je sais je suis psy à la base je devrais savoir ces choses là. Mais il me semble que ce qui est en jeu est bien plus vaste qu’une dépression liée à l’isolement.
Ce n’est pas une guéguerre de « les traitements » contre « les paroles ». Au fond ce sont là les mêmes sortes de dépendances payantes et elles se surajoutent aisément qui plus est.

Va t-on en la faisant parler une fois par semaine la sortir de sa dépression ?
D’abord il va falloir qu’elle se déplace, avec des problème moteurs c’est déjà incertain, ensuite qu’elle paye pour cela, et enfin qu’elle surmonte la phobie des psy qu’ont souvent les personnes âgées pour qui les psy soignent les fous et donc pas eux… Tout cela est déjà bien peu probable et pour quel résultat ?

Pourquoi est elle déprimée ? Parcequ’elle est seule ou bien pour la raison pour laquelle elle est seule ? Parcequ’elle est vieille ou bien parcequ’elle fait le bilan de sa vie ? Parcequ’elle est malade ? Parcequ’elle manque d’un élément ?

Il me semble qu’il y a encore un élément constitutif des dépression qu’on a tendance à oublier, c’est le décalage avec les attentes. On attends un certain bonheur. Une image quasiment stéréotypée du bonheur. Et notre incapacité à ressembler à cette image crée un malaise épouvantable.
Que faire pour une vieille dame triste ? Lui donner des médocs ? En quelque sortes l’empêcher de mal penser, de « triste » penser. Il faut penser « gai » ou « neutre » ou pas du tout c’est mieux. La faire s’exprimer sur son mal être ? Dangereux, si son bilan est trop profond et négatif elle va passer à l’acte (la jolie métaphore pour le suicide). Faut il changer son référentiel du bonheur ? Peut être.

Si je pouvais je lui prescrirais tout ce qui fait le cliché attendu, une belle vie bien remplie, des enfants adorables et aimants, des petits enfants présents et demandeurs de calins, des amies avec qui ronchonner un coup et regarder les séries télé, une bonne santé, parce que c’est bien connu, il faut mourir très vieux et en bonne santé surtout…
Et si je pouvais plus encore je prescrirais à la société de moins penser à un bonheur préfabriqué à chacun de rester inventifs de son destin sans pilules et sans gourous fussent ils des psy bien pensants ou mal pensants comme moi ;-)