vendredi 1 février 2008

Chroniques de Salles d’attente. N.5 : Ne pas grossir

Il est très tôt ce matin et je me sens bien fatiguée. J’ai encore très peu dormi. Aujourd’hui c’est ma mère et non mon mari qui m’accompagne.

J’ai repensé à mes conversations avec « Tintin », le soignant de la scintigraphie, lui a la sensation qu’il y a dans l’assistance publique (comme privée) un mouvement de la part du personnel et en particulier des administratifs à déshumaniser le patient en le considérant comme un numéro uniquement. Au début le patient était « sa pathologie » et maintenant « son numéro ». Et puis il trouve que d’autres ont l’air de considérer que le patient est là pour patienter et dit avoir observé des scènes où du personnel prenait le temps de finir leur café tout en papotant parfois devant des malades qui attendaient depuis longtemps.
Je réfléchis, je ne sais pas vraiment si on peut dire qu’il y a une « tendance », moi aussi j’ai travaillé à l’hôpital et j’ai aussi observé beaucoup de personnel très humains au contraire. En devenant la « patiente » bien sûr les choses sont plus douloureuses qu’en le vivant de l’autre côté de la barrière, mais je suis aussi plus compréhensive (c’est vital dans un sens). Je trouve qu’il y a des efforts d’accueil, qu’il y a plus de prise en charge de la psychologie. Bon, mais je ne nierais pas que le manque de personnel en psycho est plus que criant, il ne semble pas y avoir un seul psychologue à temps complet travaillant à Curie. Les prises de RDV ont un délais d’un mois, ce qui est aberrant pour du psycho et les suivis de une fois par mois sont carrément indécents. Cette équipe fait du mieux qu’elle peut mais manifestement il manque du personnel. Je n’ose même pas demander si le personnel hospitalier bénéficie d’un soutient psychologique suffisant…. Ok changeons de sujet sinon je vais déborder.

J’attends pour voir une diététicienne en vue de la chimiothérapie.

C’est une chose que j’ai vécue comme LA mauvaise nouvelle de trop : la chimiothérapie fait grossir. Enfin plus exactement ce sont les produits ajoutés dans le cocktail qui font grossir…
C’est incroyable, moi qui me disais que ce super régime allait achever de faire fondre les petits rembourrages subsistants de ma dernière grossesse !
Certes ces produits qui font grossir sont aussi ceux qui permettent de diminuer les mauvais effets de la chimiothérapie, les nausées, les vomissements, mais toute femme qui est ou à déjà été grosse me comprendra.
Oui, j’ai été grosse, et j’ai du faire des efforts démesurés pour maigrir et retrouver goût à l’image de mon corps. Le genre d’efforts que l’on ne peut absolument pas faire quand on est malade, fatigué ou dépressif… L’idée de re-grossir me semble insupportable. Paradoxalement au niveau de mon acceptation de mon image de mon corps, être grosse est pour moi bien pire que de perdre 1 ou 2 seins. Cela évoque toutes les souffrances physiques, médicales et psychologiques que j’ai subies quand j’étais grosse, toutes les insupportables humiliations. Et par dessus le marché, on m’annonce une moins bonne réussite des traitements chez les personnes graisseuses, au cas où il faille en rajouter, cette dernière information achève totalement de faire exploser mon angoisse.
Alors c’est clair, grossir, PAS QUESTION !

Bon j’écris, j’écris et j’en oublie mes chroniques… La salle où je suis est pleine de monde… C’est très intéressant d’ailleurs, une femme en face de moi est en train de broder une serviette. Tiens, c’est une activité tout à fait inhabituelle dans les salles d’attente.
Dans cette salle, nous sommes 15, peu de chaises sont libres, comme d’habitudes, la plupart des gens bouquinent des revues, moi j’écris, cette femme brode.
Une dame plus âgée vient se mettre à côté de moi. J’étais en train de regarder des perruques et du coup je l’interpelle spontanément sur une perruque et nous commençons à papoter à trois (avec ma maman). Elle attend sa chimio… Je regarde plus attentivement les autres personnes, plusieurs ont des foulards, je réalise que je suis en fait dans la salle d’attente des chimio…

J’ai comme un doute là… Je regarde mon planning… Mais bon sang je me suis trompée, ce n’est pas mon RDV de diététique ici, en fait j’ai RDV avec un médecin qui va m’expliquer la chimio !

La dame me parle de la chimiothérapie, du fameux casque qui permet d’essayer de conserver ses cheveux. C’est une horreur me dit-elle, il doit être à moins 20 degrés. « Oups », dis je tout haut, « ça ne va pas me rafraîchir les idées, ça, ça va me les congeler ! ». Toutes les femmes présentes regardent à présent vers notre petit groupe et plusieurs entrent dans la conversation, la glace est brisée ! Enfin, si on peut dire parce que apparemment elles en ont toutes après ce maudit casque congelé.
La conversation dérive sur les perruques, plusieurs dames me montrent la leur, je n’avais pas identifié avant que c’étaient des perruques, j’ouvre des yeux ronds. J’apprends la différence entre cheveux synthétiques et naturels, je prends des adresses de perruquiers. Puis chacune parle de la chimiothérapie, des effets secondaires, de son cancer, des erreurs de diagnostic qui ont précédé la découverte, des progrès de la recherche, de l’espoir qu’elles mettent dans le fait d’être soignées à Curie. La salle s’anime, les sourires fleurissent sur les lèvres.

Je ressors de là interloquée… La majorité des femmes présentes avaient envie de parler et dès que j’ai brisé la glace la salle s’est animée…

5 commentaires:

  1. c'est beau, ce que tu racontes. Cette humanité qui n'attend qu'un regard pour se montrer au grand jour.
    Mes pensées t'accompagnent.

    (pour les approches complémentaires afin de réduire les effets secondaires, www.passeportsante.net est un site canadien sérieux)

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  2. Bienvenue Lise, et merci pour le lien, j'ai regardé il est vraiment bien ;-)

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  3. Une brodeuse ? Il en resterait donc ? Es-tu sûr que ce n'était pas un fantôme du siècle passé ?

    En France, la majorité des personnes "n'osent pas..." et chacun "reste chez soi" dans beaucoup de sens du mot. Aux Canaries, les personnes "osent" de façon spontanée et partagent comme dans cette salle ou la glace a été brisée.
    J'espère que tes chroniques permettront à d'autres qui te lisent "d'oser" à leur tour et d'en tirer un grand bénéfice.
    Si cela fait boule de neige, par ton intermédiaire, cette maladie aura au moins apporté quelque chose.

    bises
    Lynx.

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  4. Je comprends bien que tu n'aies pas envie de grossir. J'avais bien des kilos en trop à l'adolescence et je sais ce que c'est...Mais si ce qu'on te propose peut t'éviter des effets secondaires difficiles, ce serait peut-être bien d'essayer quand même. Et juré, on t'aidera ensuite à perdre les kilos pris !
    Je vais aller faire un tour sur le site canadien car j'ai un peu de mon coeur au Québec...Un peu de ma famille aussi d'ailleurs !

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  5. Tili, tes craintes sont légitimes, tu en as le droit; mais saches que tout le monde ne prends pas forcément du poids...

    Il est possible par effet 'rétention d'eau' (cortisone) que l'on prenne 2 à 3 kg, qui s'en vont à la fin des cures avec un bon drainage.

    Je crois que celles qui prennent plus de poids sont celles qui mangent en 'yoyo': peu ou pas la semaine de la chimio et se rattrapent de trop les semaines suivantes...et se lâchent sur d'exquis excès en se disant 'mmmh miam c'est toujours ça de pris!'
    ;-))

    J'ai pris un tout petit peu de poids (exquis excès...hum...) mais il suffit de rester raisonnable pour garder la ligne et les formes sans perdre la forme!

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