lundi 31 mars 2008

Comment doit t-on mourir ?

On pense tous un jour ou l'autre à la mort. Enfin du moins cela me paraîtrait normal. Même si jeunes on a tendance a s'espérer immortels et à repousser la possibilité même que cela arrive un jour, on finit par vieillir et bien sur on y pense.
Moi j'y ai pensé très jeune. Méchant hasard de la vie j'ai été confrontée à la vision de morts violentes, la première fois j'avais 8 ans, je promenais mon chien, un jeune garçon est passé devant moi en courant poursuivit par une bande de jeunes adultes. Il avait quoi, 12 ans ? 13 ans ? Qu'avait-il chapardé je ne l'ai jamais su. Ils l'ont jeté à terre et roué de coups jusqu'à ce qu'il ne bouge plus, il était mort. Je me souviens encore de ces sourires hilares et des "grands" qui se bousculaient pour pouvoir aller lui donner un coup de pied dans le ventre. Je suis restée là sans bouger, terrorisée, c'est mon chien qui m'a ramenée à la maison. Je n'ai rien dit, il me semblait avoir simplement fait un cauchemar. Le lendemain mon père en lisant le journal a annoncé tout haut à ma mère qu'un petit voleur avait été lynché juste à côté de la maison et j'ai éclaté en sanglots.
Ce fut ma première vision de la chose, d'autres y ont succédés, beaucoup d'autres. J'ai des souvenirs qui se superposent, parfois je me demandes si c'est bien normal à mon âge. La mort n'est pas cachée comme ici, en Afrique et les accidents y sont plus fréquents aussi, y compris pour des proches, les enterrements sont plus publics et les corps exposés. Et puis il y a eu les émeutes, la guerre, les mauritaniens égorgés. A cette époque je voyais les chars dans la ville avec l'excitation totalement inconsciente de l'adolescente idiote qui jubile parce que le couvre feu l'oblige à rester dormir chez son meilleur ami.
Quand on m'a proposé une thèse sur un aspect du VIH a un moment où la trithérapie n'était pas encore arrivée je n'ai pas eu peur, mais j'ai plongé dans une France que bien d'entre vous ne soupçonnent même pas. Des misères et des grandeurs humaines. J'ai vu un garçon, presque un enfant, quel âge avait-il lui, 19 ans, 20 ans peut être, il criait qu'il ne voulait pas mourir, son corps complètement décharné recroquevillé sur le lit et sa famille a refusé de le voir, lui le pervers qui avait osé pratiquer une sexualité différente. J'ai entendu un homme rieur m'affirmer que ce n'était pas grave car il avait bien profité de sa vie, je me souviens de ses très longs ongles vernis en noir, j'ai pleuré sur une femme qui est morte avant d'avoir pu faire venir ses deux fille qui allaient être excisées au Mali, j'ai tenu la main d'un homme qui me regardait comme si je pouvait être un rempart à sa fin, et d'autres, tellement d'autres. Et puis j'ai ce souvenir du bruit de la scie des autopsies, de ce couteau qui m'a frappé l'épaule par accident, sans me blesser et de l'odeur insupportable dont j'ai réalisé, après 3 douches que c'était dans ma tête qu'elle s'était incrustée.
Pourquoi je vous racontes cela ? Peut être pour avoir moins de cauchemars, peut être aussi car après tout cela je me demandes encore comment il faut mourir.
Quel que soit l'âge, comment faut il mourir ?
Une chose est sure, pour le mort cela n'a pas d'importance, qu'on ait pleuré ou sourit, quand on est mort cela n'a plus d'importance. Mais pour ceux qui restent...
Je me sens des responsabilités envers ceux qui m'aiment, et que je meure maintenant ou beaucoup plus tard, ce qui m'importe c'est de léguer suffisamment de confiance en eux à ceux qui m'aiment pour qu'ils puissent vivre leur vie correctement. Si je donnais l'image à mes enfants que la mort est souffrance ou pire, qu'elle est pleine de peurs, je leurs léguerais une vie de peurs et de souffrances. Finalement c'est cela qui fait la différence, la présence des autres. En quelques sortes si l'on doit avoir peur et souffrir, être entourés de gens qu'on aime a un terrible prix car il faudra alors du courage pour le cacher.
En ce moment j'apprends l'humilité. Je reçoit beaucoup d'aide de ma famille, de ma belle famille, mes petits problèmes changent la vie de pas mal de personnes qui assument dignement. Je m'en veut, bien sûr d'être un poids pour les autres. J'ai souvent hontes aussi car mon corps est exposé et le cancer, ce n'est pas très glamour. Je vois mon homme ployer sous le fardeau physique et psychologique, sans trouver en moi les ressources pour savoir le soulager à mon tour.
Mais l'humilité est-elle bien utile dans notre société ?
Accepter l'amour des autres et leur aide, une grande leçon d'humilité, je n'ai rien à donner en retour que mon amour, ma gratitude et d'accepter la responsabilité de supporter la souffrance et d'accepter ma mortalité, qu'elle soit précoce ou tardive, sans léguer un fardeau à ceux qui m'auront aimé.
Je ne sais pas si j'en suis capable.

13 commentaires:

  1. On est toujours un fardeau pour ceux qui nous aiment, qu'on y soit ou qu'on parte. Quand on est un fardeau pour personne, on est un tel fardeau pour nous même qu'il est bien difficile d'y survivre.

    Le problème n'est pas d'être un fardeau mais de participer à porter le fardeau de notre groupe, participer selon la possibilité du moment.

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  2. Je voulais juste te dire que tu ne me connais pas et je ne te connais qu'a travers ton blog... mais, sans mensonge, je pense tous les jours a toi... tu me donnes tellement sans le savoir... et j'aimerai tellement te donner un moment de repis, un sourire, un moment a moi pour toi.
    tu es courage et tendresse et ca c'est precieux pour toi et ceux qui t'entourent.
    des bisous

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  3. 0n aime aussi pouvoir intervenir auprès de ceux qu'on aime lorsqu'ils sont dans le besoin , dans la demande et je suis certaine que tes proches sont heureux de pouvoir t'aider à surmonter cette période délicate. Dés que tu iras mieux tu pourras leur rendre au centuple .

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  4. "...ce qui m'importe c'est de léguer suffisamment de confiance en eux à ceux qui m'aiment pour qu'ils puissent vivre leur vie correctement"

    C'est le plus beau cadeau que l'on puisse faire à nos enfants.
    Ce que tu as écris aujourd'hui est admirable d'humanité.

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  5. Le plus beau cadeau que tu puisses faire à tes enfants, c'est de les AIMER...Avec cet amour, ils pourront affronter leur vie avec ses bons et moins bons moments...Et ça, apparemment, tu sais le faire...Et bien aujourd'hui je te demande de les embrasser pour moi, de les embrasser de la part de Mimosa...

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  6. je suis tres touchee par ce que tu dis sur les proches ( car je m'y suis identifiee) et la mort, je me suis permise de t'envoyer un email.

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  7. Très vite on apprend que la peur de la mort n'est pas celle que l'on croit : ce n'est pas de passer de l'autre côté qui angoisse le plus mais bien de ne plus être à côté de ceux que l'on aime et que l'on voudrait protéger toujours. On se sent bien petit alors. Mais notre cadeau à ce que l'on aime et qui nous aime est d'autant plus grand. Et en la matière, tu es une pro. Tu n'es pas un fardeau; la maladie l'est; alors ne te culpabilise pas et laisse les autres t'aider. À chacun son tour.

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  8. Tili, je suis tellement émue par ce que tu viens de dire... et je pense que lorsque l'on aime quelqu'un cette personne ne peut pas être un fardeau, TU N'EST PAS UN FARDEAU,je t'admire énormément.

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  9. Quand on est d'une nature généreuse, comme tu sembles l'être, c'est pas toujours facile de se laisser choyer. Ni de laisser aller, de se confier, de lacher prise. Mais c'est bien de réussir à le faire. D'accepter de le faire. D'abord pour soi. Mais aussi pour les autres.

    La mort ça fait peur. Sa propre mort et celle des autres. Ceux qui restent, ceux qui partent. Mais quelle chance quand même d'avoir connu la vie. Je me dis ça tous les jours. Quelle chance d'avoir eu de tels parents. D'avoir mis au monde une si belle personne.

    Pour le reste, on verra le moment venu.

    Comment doit-on mourir? Pas seule en tout cas.

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  10. Un message d'une telle gravité est prenant.Bravo d'être assez lucide ,sensible ,attentive à l'autre ,celui qui regarde ,accompagne ,chemine à côté ,tend la main ,donne son temps ...mais ne peut rien de plus parfois.Bravo Tilli et bon courage pour la suite ,avec des fleurs ,des couleurs ,d'autres réflexions pour se battre sur cette belle planète ,avec vous , et y aimer les autres avec vous.Merci de dire si bien !

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  11. Ce témoignage sur la mort, accompagnée ou redoutée, est l'un des plus émouvant qu'il m'ait été donné de lire. Heureux ceux qui sont vos proches et peuvent profiter d'un coeur si généreux.

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  12. Ton message me laisse admirative, émue, le souffle court, vibrante... merci, merci Tili de ce que tu partages ici...

    Ce que tu écris fait écho chez moi, sous plusieurs angles, comme par exemple ta plongée dans la misère humaine avec le vih, les autopsies. j'ai vécu des 'choses' qui s'en rapprochent. Pendant mes 10 années de 'pompière', j'ai cotoyé morts, souffrances, accidents, injustices etc... je me sentais privilégiée de 'vivre' après ça, avec un immense respect. Mais l'humilité, la vraie, c'est le cancer qui me l'a apporté.

    Alors comment mourir?
    Drôle de question... étrange de se la poser même. Notre mort ne nous appartient peut-être pas, elle appartient aux autres, ceux qui restent...
    Je me souviens avoir écrit un jour que ce n'était pas de mourir qui m'attristait le plus, mais plutôt de ne plus vivre.

    Alors moi ma question c'est: comment dois-je vivre jusqu'à ce que la mort m'enlève à la vie?

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  13. ce qui change la mort, ça peut être effectivement les siens, qui t'entourent, mais, pour moi, c'est savoir que tu as fait, quel qu'est été ton temps de vie, ce qui était juste, ce qui te correspondait, que tu ne t'ai pas renié, que tu ais fait le maximum, au mieux, de chacune des situations...et si ça n'a pas toujours suffit, ce n'est pas grave; c'est de ne pas avoir essayé qui aurait été grave.

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